Pouvez- vous vous présenter ?
Je suis Roberto Perinelli j ai 67 ans. Je me suis consacré depuis toujours au théâtre. J’ai tout fait dans le théâtre sauf jouer.
J’ai un peu mis en scène, j’ai beaucoup produit, j’ai un théâtre avec 6 dramaturges, le Teatro del Pueblo .Ce théâtre a une histoire très forte qui a commencé en 1930, nous en sommes les héritiers.
Je travaille dans la Société des Auteurs d’Argentine.
Mais si je devais me définir en un mot je dirai que je suis dramaturge. C’est ce qui m’intéresse le plus, le métier que j’ai le plus travaillé.
J’ai dirigé également pendant de nombreuses années et jusqu'à il y a quelques mois l’Ecole Municipale de La ville de Buenos Aires. J’enseignai également des matières qui ont à voir avec l’histoire du théâtre et l’analyse de texte.
Qu’est ce qu’on appelle théâtre indépendant ?
Il a commencé dans les années 30 a travers de l’envie impétuosité de Leonidas Baruletta qui a fondé le premier théâtre indépendant d’Argentine, le Teatro del Pueblo ( théâtre du peuple).
C’est un théâtre ou les gens créaient mais n’étaient pas payés, ils gagnaient leur vie autrement. Baruletta avait une grande rigueur idéologique.
Le Theatre del Pueblo a modernisé et a introduit deux choses : le metteur en scène qui n’existait pas en tant que créateur. Il a introduit une dramaturgie européenne qui était quasiment inconnue. La plupart des pièces montées avaient un engagement politique. C’était un homme de gauche.
Le théâtre indépendant de Baruletta a eu 30 années de vie. En 1960 , plusieurs choses l’ont détruits : l’apparition de la TV ( qui payait les comédiens et qui enlevait une partie du public), le fait que les gens voulaient vivre de leur art, ne voulaient plus travailler gratis. Le théâtre del pueblo c’est trouvé en inadéquation avec son temps.
C’est à cette époque qu’est apparu le théâtre qu’on peut appelé off, alternatif, indépendant.
Pouvez-vous nous parler du théâtre en Argentine ?
Le théâtre argentin a commencé en 1886. Jusqu’à ce jour il n’y avait pas de comédiens argentins, seulement des comédiens espagnols ou italiens. Il a vu le jour avec une pièce Juan Moreira : l’histoire d’un gaucho persécuté, inadapté. C’était un théâtre populaire. Ce théâtre a dérivé pour donné un genre théâtral appelé « Teatro chico »( petit) : pièces d’une heure. Presque toutes ces petites pièces étaient d’origine espagnole.
Puis s’est créé un genre nouveau, populaire, absolument festif : la saynete. Buenos Aires est une ville ou il est très difficile de rencontrer quelqu’un qui ai dix génération argentine. Vers 1914 : il y avait plus d étrangers que d’argentins. Dans les saynetes on voit les personnages des immigrés.
En parallèle il y avait le théâtre culto. Les comédiens pouvaient passer d’un genre à l’autre mais pas les auteurs.
En 1902 le premier écrivain de théâtre à vivre de son art est le premier écrivain d’Argentine a gagné de l’argent.
Ces formes ont connu des moments de gloire puis ont commencé a décliner : D’une part car elles commençaient a se répéter. Il y avait beaucoup de représentations et les dramaturges n’avaient pas le temps de réfléchir pour créer. D’autre part car le pays commençait à aller mal. Le théâtre a donc commencé à refléter ça.
Est apparu alors le grotesque criollo : une vue très pessimiste ( Armando Discepolo : Estefano ou Babylonia)
En 1930 sont apparus de grands rivaux au théâtre : la radio, la TV, et le football professionnel (1931). Et ici le foot a toujours été quelque chose de très important. C’est à cette époque que Baruletta arrive. Il déprécie tout ce passé, de façon souvent injuste, il faut le reconnaître.
Il y a eu un débat idéologique très important :Baruletta disait que tout est théâtre, il suffit de le vouloir. Mais d’`autres groupes disaient que non, il faut avoir une formation. Ils ont commencé à créer des écoles, plus de déclamation. De nombreux comédiens qui jouent encore aujourd’hui sont venus de la. Ces écoles, en plus de l’esthétique, insistaient beaucoup sur l’étique théâtrale. Nous avons un énorme respect pour le théâtre
On met son âme dans le théâtre On fait de la TV, de la radio pour gagner de l’argent mais on ne fera jamais n’importe quoi au théâtre pour gagner de l’argent.
A mon humble avis le meilleur théâtre en langue castillane se fait ici. Car ici il y a de tout :tu peux voir une pièce réaliste, une expérience insolite, un spectacle avec multimédia, juste avec des comédiens, des spectacles de jour , de nuit, avec texte, sans texte. Et en général les comédiens sont fantastiques.
Quelles sont les formations pour devenir comédiens ?
Ici i y a beaucoup d’écoles et d’ateliers particuliers. Qui en général sont très bons.
Il y a 4 écoles officielles :
une université, la plus vieille
l’Ecole de la ville qui est tertiaire.
une université privée Salvador, ouil faut payer. Formation au jeu dramatique (« Actuacion)
Ecole d’Alejandra XXX , payante mais qui sínscrit dans le système éducatif nationnal avec un diplôme tertiaire
Dans l’école que je dirigeais la formation « actuacion »( jeu) comporte 43 matières sur 4 ans : analyse de texte, langage musical, production, voix, corps, jeu…4h30 par jour du lundi au samedi.
Pourquoi vous etes vous dirigé vers le théâtre ?
Dans ma jeunesse, je me suis lié par hasard a l’un des derniers groupe de théâtre indépendant. Ils luttaient pour survivre et conserver leurs idéaux. Je m y suis intéressé car je suis, a la base, quelqu’un d’assez solitaire. Et le théâtre ça exige le travail en équipe. Ca me plaisait, ça me sortait de ma coquille. Et puis c’est un lieu ou se créent des amitiés très fortes. Tout le monde vient participer a un projet avec envie, enthousiasme.
Pourquoi la dramaturgie ? Je crois encore a cause de ce coté solitaire : ça me permettait de quand même travailler seul.
J’avais des tonnes de vocations. Il fallait bien en choisir une car il n’y a que 24h dans un jour ! Je crois que ce qui a fini de me décider ce fut en 1980 ma merveilleuse expérience avec le Teatro Abierto (Theatre Ouvert). Je me suis dit « bueno », ça c’est ma vie.
Qu’est-ce que le Theatre ouvert ?
En 1976 a eu lieu un coup d’état militaire, génocide, dans lequel sont morts ou portés disparus 30000 personnes, beaucoup de jeunes.
Il y a avait une grande persécution dans le milieu intellectuel, pas seulement théâtral. Donc beaucoup de gens ont fuis. Des comédiens sont partis en Espagne,beaucoup d’intellectuels sont partis au Venezuela, au Mexique.
Le théâtre a été un peu moins affecté car on ne lui accordait pas une grande importance. On faisait quand même partie d’une liste noire et on ne pouvait pas jouer dans les théâtres officiels, on ne pouvait pas non plus écrire pour la TV qui était aussi publique. La situation était encore plus dure pour les comédiens car nous au moins on pouvait écrire sous un pseudonyme ! Donc en 1980 a commencé a circuler une idée de faire quelque chose. On s’est tous réunis et on a fait un truc fantastique : 21 pièces d’une demi heure jouées sur une semaine pendant deux mois a 18h. Des pièces militantes. C’était la réaction du monde de la culture contre la dictature.
La dictature ne s’est pas intéressée a nous jusqu'à ce qu’on commence. Mais la queue immense, a attiré leur l’attention. Ils ont incendié le théâtre a 3h du matin. Tout le monde intellectuel s’est mis de notre coté. On s’est vu offert 17 théâtres pour continuer le projet ! On en a choisi un, qu’on pourrait qualifier de boulevard, où la nuit il y avait des spectacles de filles nues, car il était très visible, en pleine rue Corrientes. On voulait être sous le nez de la police !
On a fait le grand cycle du Theatre Ouvert de 1981 a 1983. On a eu des problèmes avec la dictature mais petits.C’était une époque merveilleuse, tout le monde se connaissait…On jouait avec notre vie mais on ne s’en rendait pas compte. C’est plus tard qu’on a réalisé ! A la fin de la dictature, en 1984, avec l’arrivée du gouvernement légitime, beaucoup d’entre nous ont commencé a travaillé pour l’Etat. C’et a ce moment que je me suis vu proposer la direction de l’Ecole. Avec les autres on reste une tribu !
De quoi parlent vos pièces ?
Je suppose qu’il y a quelques thèmes communs.
Je ne suis pas un écrivain réaliste.Il y a quelque chose d’absurde dans mon écriture mais ce ne sont pas des pièces absurdes.
Je suis assez mélancolique. Les personnages vulnérables m’inspirent beaucoup, ceux capables d’avoir des rêves fous,. Il y a un genre que j’aime beaucoup mais que je pratique depuis peu, c’est le mélodrame.
Ce que j’essaye de faire - et c’est pour ça que je n’ai pas tant de pièces- c’est de ne pas me copier moi-même. Ah oui je m’intéresse beaucoup aux mythes contemporains :par exemple j’ai écris une pièce sur Landru, où j’inverse le mythe : Landru tue les femmes car elles veulent mourir de sa main, une mort romantique.
J’aime aussi les expérience avec le langage, la façon de construire.
J’essaye d’appliquer la théorie d’Hemingway pour le conte, la théorie de l’iceberg : on en voit seulement 10%. Je travaille donc a ne montrer qu’une partie et ne pas montrer certaines choses, qui déterminent ce qui se passe, ou qui se sont passées ou vont se passer. La seule chose c’est que du coup mes pièces sont plus petites !
En combien de temps écrivez vous une pièce ?
En beaucoup de temps ! Tant qu’elle n’est pas jouée je continue de la corriger ! Ca peut être 3 ans.
On peut trouver certaines pièces publiées sur internet sur le site : Fondation Carlos Somiglia
Le théâtre en Argentine est-ce seulement a Buenos Aires ?
Comme a Buenos Aires cela n’existe nulle part ailleurs. Mais il y a d’autres endroits qui ont un développement théâtral intéressant : Cordoba, Tucuman, Mendoza
Quel est le public ?
La classe moyenne va voir le théâtre alternatif. Et la classe moyenne est très importante en Argentine ! La haute société ne va pratiquement pas au théâtre Je suppose car le théâtre a toujours souffert de manque de prestige.Et puis la haute société vit a la campagne, elle ne vient pas a Buenos Aires.
Combien y a-t-il de théâtres a Buenos Aires ?
Quand on parle de théâtre on parle d’un lieu tout petit a un immense comme le Colón ? Il doit y en avoir 150.
Et quels sont les plus importants, où on est sur de voir un spectacle de qualité ?
Les théâtres alternatifs sont très bons : el Kafka, el Camarin de las Muslas, el Teatro del Pueblo.
Que connaissez vous du théâtre européen ou français ?
Très peu. Lavelli qui est venu, Lassalle a dirigé un Molière, très bien. Koltès dont quasiment tout a été monté : La solitude des champs de coton, Roberto Zucco.. Pour .Minyana on n’a pas tout monté. C’était trop difficile pour nous, un théâtre de la parole. Dans les classiques, l’unique qui fonctionne ici c’est Molière. Je crois que je n’ai jamais rien vu de Racine ou de Corneille. C’est surtout l’auteur français qui a été a la mode. En ce moment c’est surtout Sarah Kane qui est a la mode.
Dans les dernières années Ionesco a eu un grand impact tout comme Becket dont je ne saurais te dire s’il est français ! Il y a même une salle Becket ; il est adoré par tout le monde.
Cliquez sur la photo
pour avoir un agrandissement
et sa légende