G. VENU - Irinjalakuda ( Kerala)
G. Venu est comedien de Kthakali et de Kutiyattam mais c' est surtout un maitre de Kuttiyattam et le fondateur avec sa femme Nirmala, du Centre Natana Kairali, un centre de recherche et de formation.Il a notamment empeche la disparition de nombreuses formes theatrales traditionnelles comme letheatre d' ombre, les marionnettes ...
Venez-vous d’une famille de comédiens ?
Je suis ne a l’époque de l’indépendance, en 1945.C’était une époque de transition. Mon père était à l’image de cette nouvelle Inde ( un mélange de tradition et de nouveauté), un artiste, et il avait les qualités pour envisager les arts dans une perspective très différente.
Dans notre famille, l art était considere comme faisant vraiment partie de la vie. Par ex , la soeur de mon père étudiait la musique classique (était une grande musicienne mais elle n’a jamais chante sur scène)avec un grand musicien qui venait a la maison..
Elle n’a jamais envisage cet art comme une carrière, comme un moyen de gagner de l’argent. Mon père, lui, a appris la peinture pendant 18 ans et était photographe pour gagner sa vie. Et il était pas désole d’avoir étudie 18 ans et de ne pas y consacre sa vie après. Je dis ça pour te montrer la façon dont on approchait l’art dans la famille. L’art est partout, surtout dans le sud du Kerala: dans chaque maison, tous les objets sont décores, peints., chaque couteau est sculpte .
C’était ça mon environnement culturel. Il y avait aussi, la ou j’habitais, tous les ans, une grande manifestation (ça n’existe plus aujourd’hui) ou tous les enfants qui le souhaitaient pouvaient aller prendre des cours de danse: pendant 2 mois on repetait puis on montait de petits spectacles qu’on jouait devant tout le monde.
Une autre chose aussi, c’est que les spectacles se jouaient dans les maisons.Maintenant il n y a plus ça ou alors en échange d argent. A l’époque il y avait des groupes qui venaient avec les masques de singe ( Anouman). Cela faisait partie intégrante de la vie: les parents menaçaient les enfants qui ne mangeaient pas de faire venir Anouman…
L’art était très vivant.
Comment etes-vous devenu comédien ?
A l’age de 10 ans j’ai assiste une nuit a un Kathakali. Je me rappelle encore du décor, ça se passait dans un temple, était magique.Ca commençait vers 21h, 21h30, tout le village était assis en cercle. Et puis il y a eu les percussions , les chants et ces personnages sublimes qui sont entres et ont danse. C’était la première fois que je voyais quelque chose comme ça, si différent. Mon Dieu! C’était comme si…comme si était un rêve!
Le jour d’après chez moi, je n’arrêtais pas de danser.Mon père m’a aperçu un jour. Il est allé voir un maître de Kathakali et lui a demande de m’enseigner. J’ai donc commence à apprendre la Kathakali avec lui. Il a voulu créer une école près de chez lui qui était à 3 km de ma maison. Donc j’étudiais la bas et je dormais la bas, puis au petit matin je revenais chez moi! J’ai adore cet apprentissage!
Puis trois ans plus tard j’ai commence a avoir des petits roles.Je continuais ma scolarité normale a cote. Un jour j’ai demande à mon père d’aller trouver un danseur très connu Gouro gopi Nands pour qu’il m’enseigne. Il a crée une école ou j’ai étudie pendant 5 ans. C’était une personne très digne, merveilleuse, très appréciée.
Pendant mon entraînement de Kathakali j’étais obsede par la gestuelle des mains, les mudras. J’ai alors élabore mon propre système de notation pour répertorier les différentes mudras.C’etait la première fois que quelqu’un transcrivait ce savoir ! Cela a provoque l’enthousiasme de nombreuses personnes et du coup je suis devenu très connu. Je suis allé rencontrer tous les maîtres de Kathakali pendant 2 ou 3 ans. Mes notations étaient très importantes. J’étais connu comme celui qui a étudie différemment.
Plus tard j’ai décide d’aller étudie les danses de toute l’Inde.Un gros projet! A 21 ans j’ai donc quitte le Kerala, j’ai trouve un travail de danseur de Kathakali au centre de l’Inde (Muda Pradesh). J’ai rencontre un maître de danse Katak , j’ai rencontre des danseurs de. Mani puri, des marionnettistes et beaucoup d’autres formes traditionnelles. A chaque fois je rencontrais les plus grands maîtres Cela m’a pris 2-3 ans. Je me suis rendu compte que noter toutes ces formes était impossible, il y a tellement de langues en Inde et je ne les parlent pas.Par ailleurs a la même époque j’ai participe a des stages de théâtre contemporain, a des expositions. Je faisais tellement de choses, il fallait que je ralentisse.
Je me suis dit qu’il fallait que je me concentre sur les arts du Kerala.
J’ai donc commence un nouveau voyage (nord du Kerala, Trissur, Trivandrum). C’était rare que quelqu’un se déplace comme ça pour assister a des representations.C’etait super de faire ça J’ai vu tellement de formes différentes.
C’est de cette aventure qu’est venue votre implication dans la préservation des arts traditionnels keralais ?
J’ai réalise que beaucoup de formes étaient en train de mourrir.Car les temps ont change et ces formes rituelles disparaissent car toute la façon de vivre a évolue. Par exemple avant une maison familiale pouvait facilement rassemble une cinquantaine de personnes pour une représentation mais maintenant les gens vivent en plus petite unité familiale et donc ces spectacles n’ont plus lieu d’être et ont disparus.
Par ailleurs beaucoup de personnes ont abandonne leur activité artistique car elle n’est pas lucrative. Il y a donc de moins en moins d’artistes. Les parents ne les encouragent pas dans cette voie mais plutôt vers des métiers qui rapportent comme médecins ou avocats.
Ca me rendait triste. J’ai pense qu’il était de ma responsabilité de faire quelque chose pour préserver cet héritage culturel.. J’ai réussi à collecter des fonds, des aides de la part du gouvernement, de l’Unesco. Cela me permettait d’aider les familles d’artistes. J’allais chez eux et je remplissais pour eux les formulaires de demande d’aides. Je vivais de maison d’artistes en maison d’artiste.
Comment avez-vous découvert le Kutiyattam ? Comment avez-vous appris cet art alors que vous n’appartenez pas à la caste des Chackyars ?
Un jour je suis arrive a Trissur, j’allais assister a une représentation de Krisnattam.Quelqu’un m’a dit va voir, il y a une représentation de Kutiyattam a Trissur. J’y suis donc allé, l après midi, mais je n’ai pas été attire.car les acteurs que j’ai vu étaient que des artistes ordinaires. Pour moi était juste une forme de plus.Il y avait une autre représentation le soir, dans le temple de Trissur. Je décide de laisser une deuxième chance. La représentation commence à 20h30, je ne connaissais pas l’histoire ni rien… Quand le comédien ( qui deviendra mon maître: Ammanur Madhava Chakyar. A époque il ‘était pas du tout connu) a ouvert les yeux…Waouh! Je ne pouvais plus détacher mon regard de lui!
Jusqu’a ce jour ci j’avais rencontre tous les plus grands artistes indiens, des artistes avec une force incroyable, mais quand lui a ouvert les yeux il y avait quelque chose d’extraordinairement puissant. J’étais totalement envoûte, pendant 3 heures je ne l’ai pas quitte, a la fin étais en larmes. Il racontait l’histoire en faisant intervenir le plus profond de lui meme.C’est très différent du Kathakali et de ses acteurs. Je me suis dit que j’avais trouve l’art que je cherchais, le Kutiyattam est ma réponse.
Le jour suivant je suis allé à l’endroit ou il résidait, une chambre a cote du temple. C’est un orthodoxe, très cultive, d’une caste particulière, haute, avec des traditions. Il n’accordait pas beaucoup d’attention aux gens. Il n’enseignait pas, il ne voulait pas.
A cette époque les temps étaient dur pour lui, il y avait moins de demandes de représentations dans les temples, était dur de survivre. Donc époque ou je l’ai rencontre il passait de la gloire a un moment très difficile. J’ai senti que était la fin de quelque chose. Il y avait du Kutiyattam mais lui était différent. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je le persuade d’enseigner, sinon ce savoir allait se perdre..
Je voulais apprendre, mais je voulais aussi que des gens plus talentueux apprennent car moi j’avais déjà 28 ans. Donc j’ai décide de consacrer ma vie a le persuader d’enseigner. Je venais tous les jours le voir, je l’aidais. Je connaissais beaucoup de monde et beaucoup de gens me respectait dans toute l’Inde (des institutions, des centres de formation, des théâtres). Je leur disais que je connaissais un acteur merveilleux. J’ai réussi a lui avoir des représentations en dehors des temples (c’était la première fois pour le Kutiyattam). Il est devenu très très connu. Pendant 3 ans je l’ai rendu nationalement connu et peu a peu les récompenses sont tombées il a gagne plein de prix.(National award, award of the president of India…). Puis j’ai organise une tournée internationale: Paris, Londres,…
Il n’a jamais eu d’enfant et jusqu’a ce qu’il me rencontre il n’avait jamais vraiment reçu d’affection.Je suis donc devenu tout dans sa vie.On avait tellement d’affection l’un pour l’autre. Normalement le Kutiyattam ne s’enseigne qu’a la caste des Chackyars mais a ce moment il m’a dit tu peux apprendre.
J’avais un petit boulot a Trissur que j’avais pris pour me permettre être près du Chakyar. Je l’ai quitte pour venir chez lui et commence l’entraînement.. J’ai propose a d’autres gens de venir suivre la formation. Pendant 10 ans j’ai appris les bases. En même temps j’ai effectue les notations du Kutiyattam. Je suis devenu un acteur de Kutiyattam, une nouvelle vie qui commençait Tous mes amis ne me comprenaient pas et me disaient “tu as étudie pendant toutes ces années le Kathakali et maintenant tu fais du Kutiyattam!”. Mais peu m’importait je faisais ce que j’avais toujours voulu faire et leur avis était egal.Comme tous les étudiants j’ai fais mon "arrangata", était a Trivandrum.Puis j’ai commence a avoir des petits rôles. Je jouais des “supporting role”,personnages secondaires qui aident, mettent en valeur le héro (le maître). En 1994 le maître a commence à avoir des problèmes de santé. Il a du se faire opérer, il s’est retire pour 2 mois. A cette époque on était financièrement totalement dépendants des représentations Or maintenant qu’il était plus la on n’avait plus de représentations, était lui l’attraction. Que faire?
J’ai décide de découvrir en moi quelque chose de spécial, d’extraordinaire afin de pouvoir survivre. Tous les jours matins après-midi, soirs,pendant 7 mois je travaillais, travaillais…
J’étais la sur cette scène. Un jour un ami Suisse qui était en vacances ici m’a entendu un matin, il est venu voir ce qui se passait et il m’a vu jouer.Il a ressenti quelque chose d’inhabituel! Je voulais faire quelque chose d’extraordinaire… Il a aime et m’a propose de venir faire une représentation dans son musée car il trouvait que était quelque chose de spécial. J’ai alors monter mon propre solo. Je suis allé en Suisse, en Scandinavie, tout s’est enchaîne. Je suis devenu très demande.( rires). Les représentations ne cessaient d’augmenter, même en Inde.
Puis je suis revenu au Kerala, activement, j’ai commence a enseigner , a tenter d’aller toujours plus loin. Il y avait une nouvelle génération d’acteurs qui avaient été formes par le Gourou: Kapila ( sa fille) en faisait partie. On a crée une nouvelle pièce. Et puis jours après jours on est devenus de plus en plus demandes nationalement.
Qu’est-ce que le Centre Natana Karaili?
Cela n’a jamais été mon objectif de crée une école, avec beaucoup d’étudiants, avec des diplômes, de gagner de l’argent avec.
Mon maximum est de 7 élèves et un nouvel élève tous les 10 ans. Quand ils ont finis leur formation, je ne peux pas leur dire de partir. Ils sont un peu perdus au début.
A Natana Karaili on essaye de preparer les meilleurs. C’est pour ça que la formation dure 15 ans. Ce n’est pas comme au Kalamandalam ou cela dure 6 ou 10 ans.La bas il y a des niveaux, des degrés. D’ailleurs ça va bientôt devenir une université, ça en a déjà la forme. Je pense qu’ils ont complètement oublie le cote artistique.
De toutes mes années d’expérience ce que je retiens c’est que acquérir toutes les compétences techniques ne fait pas de vous un artiste extraordinaire, particulièrement en Kutiyattam.Il ne faut pas simplement travailler un art tout seul. Il faut beaucoup d’autres choses a cote.On ne les apprends pas d’un seul maître mais en en approchant différents ( chant, danse, yoga, magie…) Il y a des extraordinaires pouvoirs magiques.
Tu peux apprendre les techniques artistiques mais ça ne sera pas extraordinaire. Il faut un long processus, une long apprentissage de différents savoirs (différentes techniques de respiration par ex. Venuji a developpe la respiration par les yeux- un secret) . Tu arrives alors à faire quelque chose d’extraordinaire et tu es alors différent.
Mon premier objectif était donc de former ces jeunes gens, leur faire partager mon savoir. Pas a tout le monde. Mais ici, il y en a 3 qui ont des talents extraordinaires..
Quels sont vos objectifs, vos projet aujourd’hui?
Mon second objectif était de crée C’est ce que j’ai compris sur les traditions. Les traditions ne sont pas des objets de musée. Il faut tout faire pour les rendre le plus vivantes possible. C’est ce que je fais avec ce festival ( festival Natana Karaili du 1 au 12 janvier chaque année) par exemple que j’ai crée il y a vingt ans.Je mets en valeur ici, sur notre scène, créée exprès, le Kutiyattam qui n’est pas encore très connu, très populaire. On présente des pièces en sanscrit et d’autres développements artistiques
Le prochain de mes objectifs c’est de rendre la formation toujours plus performante et d’avoir plus de moyens pour attirer les jeunes étudiants, leur permettre de suivre la formation dans de meilleures conditions. Car aujourd’hui c’est très différent de mon époque, les gens veulent mener une vie moderne ( avec la tele, la voiture par ex).. Ils aiment le théâtre mais ont besoin d’avoir une certaine condition de vie et donc un métier plus rémunérateur. Ils sont bien formes et peuvent prétendre a des travaux bien payes nécessaires a cette vie Il y a des gens plus talentueux que moi mais qu’on ne verra jamais sur scène car ils mènent une vie plus moderne et ont donc un autre métier.
Donc j’essaye de trouver les moyens de faire qu’ils aient avec l’art un métier qui leur permette de vivre la vie qu’ils souhaitent
Etes-vous pour cela soutenu financièrement par des institutions? Lesquelles?
Oui le gouvernement nous aide un peu. Ca se developpe maintenant, on suscite plus d’intérêt, car l’UNESCO a déclare le Kutiyattam “patrimoine de l’humanité”. L’Unesco doit donc nous soutenir.
Que pensez vous de la diversité culturelle? Découvrir d’autres formes théâtrales, est –ce important?
Evidemment! D’ailleurs dans mon festival chaque année une équipe étrangère vient présenter son travail (des russes, des chinois, des japonais). Hier il y a eu ici une représentation de Buto- que tu as vu, non? - par le célèbre japonais Min Tanaka. C’est Kapila, ma fille qui l’a rencontre au Japon, elle a suivi une formation la bas et elle est rentrée et m’a dit “il faut que tu le rencontres, c’est incroyable, tu pourrais apprendre beaucoup de sa façon de se concentrer”.
C’est très important de découvrir d’autres formes, d’un même pays ou de pays différents. On se rend compte quelque fois qu’il y a des choses très proches dans la façon de se concentrer, de se transformer.
Comment appelez-vous les artistes de Kutiyattam, des danseurs, des comédiens? Existe t’il un terme spécifique ?
Un artiste de Kutiyattam n’est pas appelé danseur car danseur dans notre langue se dit Nurtakan. On a plutôt tendance a les appeler actors.
Traditionnellement les artistes de Kutiyattam appartenait exclusivement a une caste particulière celle des Chakiars (pour les garçons) et Nangyar ( pour les femmes), Mais pour avoir ce titre il faut auparavant avoir achevé sa formation et avoir donne sa première représentation.
Aujourd’hui ces titres n’englobent plus tous les artistes de Kutiyattam. Tous ceux qui le souhaitent peuvent se lancer dans cet art, quelque soit leur caste.
Donc on appelle de façon générale tous les artistes comédiens (“actors”), le nom indien est Natan (masculin) et Nati (féminin)
Avez-vous des rituels avant d’entrer sur scène?
Oui. Notre vie à la base est pleine de rituels, en particulier au Kerala. Malheureusement beaucoup se sont perdus au fil des ans.Le Kerala était même un pays de magies, de rituels et de plein de pouvoirs extraordinaires. Vous ne pouvez pas le concevoir dans le monde moderne.La magie de la vie est perdue. La magie de la vie ça veut dire la force: il y a un grand écrivain contemporain qui a fait beaucoup de recherches et il témoigne d’expériences incroyables: un home avait oublie les chaînes pour accrocher son éléphant, il a dessine autour de la patte, dans le sable, un cercle et y a plante dedans un bâton. L’éléphant n’a pas bouge!
Tout est possible mais on a perdu tous ces savoirs avec notre éducation moderne, des changements politiques et intellectuels.
Dans le Kutiyattam il y en a encore des rituels. Par exemple on doit demander la permission aux ancêtres avant de jouer. Tous les artistes, même modernes sont très sérieux avec ca.Avant de jouer le comédien fait un geste de respect, de méditation, vers les percussions puis vers la lampe.
Avez-vous des superstitions liées à la représentation? Des choses qui portent malheur?
Oui, il y en a plusieurs, la lampe a huile ne doit pas s’éteindre par exemple. Toutes ces superstitions ne veulent pas dire qu’il y a des choses à perdre mas plutôt que si on les respecte ça nous aide.
Avez- vous un message a faire passer aux comédiens, aux français ?
Ce que je voudrais dire aux personnes impliquées dans le monde théâtral, c’est que ce qu’il faut tirer des traditions c’est tous ces savoirs accumules au fil des siècles, perdus puis retrouves, conserves. Mais en même temps il ne faut pas considérer ces formes traditionnelles comme figées, comme ayant atteint leur évolution finale.Il faut toujours garder un peu d’espace , de liberté, dans les traditions. Tu es aussi capable de faire aller plus loin les choses, de contribuer à la tradition. C’est ce que je crois, l’art ne peut pas survivre comme une pièce de musée, il faut le garder vivant.